mercredi 19 mai 2010

LA FUITE


                                       
                                                                              






                            Les Pyrénées vues de Mirassou à  Bosdarros                                       



                                        
                   
                                                Mirassou : "brille au soleil"



                              Je soussigné Léo Mohr certifie les faits suivants:

Je m’appelle Léo Wolf Mohr, je suis né le 26 février 1932 à LILLE en France.

Mon père Chil Mohr- Schlanger(1902), ma mère Lieba Ruck -Brant(1904) ont émigré de Galicie (Pol.) dans les années vingt.

J’ai vécu une petite enfance heureuse à Lille, cependant déjà attentif et sensible aux troubles de cette époque, annonciateurs de malheur.
Mes parents très engagés et militants ne me cachaient rien, Front populaire, grèves. Guerre d’Espagne . Des blessés des brigades juives, convalescents chez nous, racontaient.

En 1940, toute la famille est jetée sur les routes, c’est la percée des allemands en mai, la débâcle sous les bombardements, les mitraillages par les stukas. Abbeville ,Dieppe et Rouen sont rasés derrière nous.

La défaite, retour à Lille, les lois antijuives, le port de l’étoile jaune, les rafles !

  avril -mai  1942


Ma mère vient de coudre les étoiles sur nos vêtements,méticuleusement,à l'endoit précisé par le règlement. Faut il aller à l'école ? J'irai .Porteur de cette désignation. Je n'ai pas conscience qu'elle soit infamante.
J'entre dans ma classe,à l'école Carnot square du Réduit au pied du beffroi : un murmure,un brouhaha,un silence.
Le maître Bodaert,sévère dans sa blouse grise est stupéfait puis il s'écrie:
Levez vous en silence et regardez bien votre camarade,vous devez lui rendre honneur .....Le cours qui a suivi est resté dans ma mémoire comme un hommage aux miens,un adieu car il m'a recommandé de ne plus retourner à l'école.
Les termes exacts de son discours ne sont plus dans ma mémoire,mais je sais que j'en etais fier!
                                      
1942 la rafle du Vel d’hiv.                       Ma jeune tante Henna Becherbluth, Charlotte 6 ans et Léa 3 ans vont disparaître. Drancy-Auschwitz convoi n° 24 le 26 août 1942.

 Il est bien temps de fuir, malgré la précarité. Les étoiles jaunes sont enlevées. Ne plus jamais prononcer un mot de yiddish. Départ vers la zone «libre»avec de vrais faux papiers fournis par des résistants de la préfecture de Lille. Il faudra apprendre parfaitement notre nouvelle identité.
                                               
                                                                                                                                                                                                                        Dax, St.Jean pied de port 8 Août 1942 : nous franchissons les contrôles policiers de la milice et des nazis .
                                                                                                                                                  Le lendemain mon oncle Sam Ruck sera arrêté à ce même contrôle puis  déporté vers Beaune-la-Rolande,Drancy, et pour Auschwitz
                  par le convoi 57(1943)


   .                                                                                                                                                                                                                                                           Ma tante Léa,mon cousin Michel (deux ans) échapperont à cette arrestation et rejoindront la zone libre.


              Des passeurs nous amènent en zone libre,à pied à travers les montagnes basques jusqu'à Mauléon. (AOUT  1942)
.


Puis nous arrivons à Gan (aujourd’hui dans les Pyrénées Atlantiques) village du Béarn prés de Pau. Bien accueillis comme réfugiés, nous nous installons.


Octobre 1942   je rentre à l’école primaire à Gan dans la classe de monsieur Campa. 



                     Cypre-Carlon-Lopez-ReyTrichot-Turonet-Laborde-Louron-Hamel-Laborde.J-Schaler-Bouillon
                 Combourg-Ménage-Garat-Cassou-Baïlo-Sabatié-Littré-Broucaret-Ainssa-Bascougnet-??-Arnaud- ???.
                                Tiret-???-Bahurlet-Cambo-Mohr-Ainssa-Ruck-J.B.Laborde-Mounat-Tucq.





Octobre 1943, j’entre pensionnaire en sixième au Lycée Louis Barthou à Pau.
Très vite des professeurs annoncent des rafles imminentes d’enfants juifs dans les classes. Je quitte alors précipitamment le lycée. Retour à Gan.

Des résistants nous préviennent la veille d'une rafle imminente;la jeune fille d'un employé de la préfecture de Pau apporte le message en pleine nuit en vélo. Mon père fuit dans la nuit,mais ma mère et moi  décidons de rester. Eternel et naïf raisonnement   "ils ne prendrons quand même pas les enfants !". Deux jeunes miliciens nous surprennent , encore au lit, insultent ma mère, menacent de revenir nous mettre les menottes. Ils partent chercher le camion ! Les quelques minutes de répit  suffisent, nous gagnons les champs....
Dans les collines isolées de Bosdarros, Mirassou une ferme où nous avions déjà acheté du lait et des oeufs.

MIRASSOU

  Il y avait le vieux grand-père Candegabe ,sa fille CLAIRE et son mari LEON DUBOIS.Trois enfants : Juliette 18 ans,Alfred 13 ans,et Irène 11 ans.
Les aînés, trois fils: Robert, Jean-Louis, Germain étaient prisonniers en Allemagne.Léon Dubois avait été gazé en 1916.
La ferme,un refuge de rêve, idéal, une quinzaine d'hectares, des vignes, des moutons, des vaches, des chataigners, des poules, des canards et des oies. Pas d' electricité encore et pas d'eau courante.....
  Mais des sourires admirables,une compréhension instantanée; bien sûr on pourrait garder cet enfant juif, et puisqu'il n'était pas question d'aller à l'école il pourrait garder les vaches ....
Le petit garçon, fils unique, voit sa mère le quitter, Claire le prend dans ses bras. Avant de se séparer les deux femmes échangent quelques mots,simples,courts : si je ne revenais pas ....dit ma mère et elle essaie de glisser dans la main de Claire un petit sac de velours noir qui contenait quelques bijoux .
               Claire l'écarte ,sourit et répond  :  J'en ai déjà élevé six....

   Claire m'emmène dans la cuisine,me prépare des beignets car il y avait encore de la farine de froment et du sucre. Le grand père veut absolument me faire goûter son excellent vin de Jurançon. J'ai bien dormi jusqu'au petit matin.....


   ENFANT CACHE


Commencent des jours paisibles,heureux presque. Léon Dubois m'emmène partout, j'apprends à traire,à fixer le joug des boeufs,à labourer. Loulou,mon chien m'aide à garder les douze vaches. Le printemps 44 arrive,merveilleux dans cette belle montagne. Je joue avec Irène et Titi (Alfred).
Ma mère fait de trop brèves apparitions,elle apporte des nouvelles de mon père malade caché à Oloron grâce à la protection d'un policier résistant. D'autres nouvelles plus tristes, des amis ont été arrêtés. Plus de nouvelles de mon oncle Samuel Ruck qui a quitté Beaune-la-Rolande pour Drancy puis Auschwitz (convoi 57) .

J'assiste le soir à des réunions de maquisards. Des armes seront parachutées.

   Dénonciations ?

   La soeur de Léon Dubois ,buraliste du village monte précipitamment à la ferme elle est très émue,bouleversée, elle s'écrie :
       « Tout le monde sait que tu caches des juifs,ils vont venir brûler ta ferme,tu seras fusillé !!! »
   Claire emmène les enfants se cacher chez des voisins :les Lajous.
Léon reste « je suis chez moi ici ». Il court chercher son fusil enfoui entre les vignes. Je n'avais jamais vu de fusil auparavant.
Le calme revient un peu,le facteur nous apporte les informations. Car nous n'avons pas la radio à la ferme,faute d'electricité. Nous sommes éclairés par des lampes à carbure.
Nous commençons à manquer de tout, le maïs et les chataignes remplacent le pain.

Le 6 juin 1944.

Le facteur a bien du mal à grimper la côte, il a un peu trop arrosé le Débarquement.
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Septembre 1944


  C'est la libération .Nous sommes tous réunis à Mirassou.
Les sourires renaissent,les familles sont sorties des cachettes,
les trois fils prisonniers vont rentrer .

   Je tiens à dire que j'ai passé une année heureuse dans une vraie famille.
Claire généreuse et douce, Léon un homme bourru, moustachu ,malicieux ,rieur et bon. Juliette,la grande soeur.Titi (Alfred) et Irène mes compagnons de jeu tous trois voleurs de cerises.
                                   
                                                                       Juliette  Ch.Mohr S.Ruck,Jacques,LEON,Lina Mohr, CLAIRE
                                                                                 Henri   Irène           Léo         Alfred (Titi)





Printemps1945.

Le retour à la paix,le lycée,le retour à Lille.Nous avons ensuite échangé des lettres,mais je n'ai jamais revu Léon et Claire.
 J'ai fait des études,me suis marié. J'ai quatre enfants et neuf petits enfants.
     

                                                je n'ai jamais oublié le "Beth ceu de  PAU


  

Fait à Lille le 12/04/2006



Inscription sur le Mur des Justes, Jérusalem




3 commentaires:

  1. Que d'émotion en lisant l'article de presse ce jour et intitulé "Léon et claire Dubois" nommés
    "Justes parmi les NATIONS".
    J'ai cliqué sur le blog et à nouveau j'ai relu avec un pincement au coeur le récit de votre séjour à Bosdarros. Monsieur Mohr,je suis aujourd'hui heureuse d'avoir à ma manière contribué à une infime partie de ces retrouvailles.Cordialement Christiane Bordes

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  2. Hello. My last name is Candegabe. Im actually from Argentina, but im now in Pau for a few days finding out about my ancestors. I found your blog while i was searching for a guy named alfred candegabe, borned in bordarros and died on the second world war. You wrote about "grandfather candegabe", but do you know the descendant? Is there any other candegabe son on the line? If you would like or be interested i would be glad. Let me know.

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  3. Je suis arrivée sur votre récit en faisant des recherches sur votre famille. La mère d'une amie a habité avec Charlotte, Lily et leur mère Rue du pont Louis Philippe et a été témoin de leur rafle. Je suis en possession de la photo que vous avez mise mais je pense qu'il s'agit d'une reproduction. Je peux vous dire que la veille de la rafle la maman des deux petites filles savait qu'il allait se passer quelque chose...le père avait été déporté plusieurs mois auparavant.

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